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Savoir-Etre et Education

Savoir-Etre et Education
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15 juin 2005

Pour une éducation créatrice d'humanité

Rapport Thélot et Loi d’Orientation - un texte du 14/12/2004

Oui à la réussite de tous…
pour une école créatrice d’humanité

www.savoir-etre-et-education.org

Quelle est la finalité de l’école ? Le rapport Thélot répond : « faire réussir tous les élèves ». J’aime cette notion de  réussite, car elle ne sous-tend pas la compétition. Je peux réussir et mon voisin peut réussir. Nous pouvons tous réussir. On ne peut pas en dire autant de « gagner ». Quand je gagne, je fabrique automatiquement des perdants. Gagner, c’est produire de l’exclusion. 

J’apprécie donc particulièrement que, d’entrée de jeu, le rapport Thélot vise « la réussite de tous ». Mais réussir quoi et pourquoi ? S’agit-il de réussir à faire sa place dans notre société actuelle, avec l’ensemble des dysfonctionnements qu’elle comporte ?

"Les problèmes du monde ne peuvent être résolus par des sceptiques ou des cyniques dont les horizons se limitent aux réalités évidentes. Nous avons besoin d'hommes capables d'imaginer ce qui n'a jamais existé.", disait John F. Kennedy. Et on ne peut que lui donner raison aujourd’hui, devant l’ampleur des défis mondiaux à relever.

Sur un plan écologique, si nous devions continuer l’exploitation du monde à ce rythme, ses ressources seraient épuisées du vivant même des enfants qui naissent aujourd’hui, explique Jean-Marie Pelt, botaniste de renommée internationale et professeur émérite de l’université de Metz. Sur le plan de la santé, la progression de l’obésité, du cancer, du sida et du diabète est très inquiétante, d’autant que les mesures de prévention ne sont pas très développées. Sur le plan économique et financier, l’inégalité de la répartition des richesses est impressionnante et les marchés financiers sont trop court-termistes (résultats trimestriels). Ils génèrent une course effrénée à la performance, entravant toute velléité de changement en profondeur. Le développement durable fait une timide entrée, mais puisqu’il s’inscrit dans le long terme, il se heurte aux exigences court terme des marchés.

Face à ces nombreux défis, il est plus que jamais urgent qu’émergent des hommes et des femmes véritablement et sincèrement engagés pour un changement en profondeur de ces réalités. Et j’attends de l’école de demain qu’elle y contribue. Elle doit être « créatrice d’humanité » pour reprendre les termes de Pestalozzi (pédagogue…du XVIIIème ). Pour relever ce défi, elle doit contribuer au développement d’individus autonomes, affirmés, épanouis et responsables, ayant à cœur de contribuer à l’évolution de l’humanité, des hommes et des femmes capables d'imaginer ce qui n'a jamais existé, comme le disait Kennedy.  Or nous ne pourrons pas faire du nouveau dans le moule ancien, à coup d’optimisations de-ci de-là. Il s’agit de changer de paradigme. Et pour cela, il faut des repères nouveaux :

1. La coopération et la complémentarité en place de la compétition. Dès le plus jeune âge, le système de classement, de notes et de sélection fait entrer les enfants dans la compétition. Ils se comparent les uns aux autres et apprennent à avoir des « repères extérieurs » (1) : ils sont « meilleurs que » ou « moins bons que ». Ils se comparent aux meilleurs, au lieu de mesurer leur progression par rapport à eux-mêmes (« repère intérieur » (1) ), ce qui serait encourageant et génèrerait l’envie de se dépasser. Les logiques de coopération et de complémentarité sont bien différentes. Elles procurent le plaisir de « réussir ensemble », d’échanger avec les autres et d’apprécier leur contribution. Les classes multi-âge et les Réseaux d’Echange Réciproques de Savoirs (RERS (2)), par exemple, donnent de belles illustrations de ce changement de repère.

2. La considération de l’enfant dans son potentiel en place du jugement de valeur et de la limitation. C’est en considérant l’enfant dans son potentiel, sans jugement de valeur, et en le valorisant qu’on lui permet de développer l’estime de soi et la confiance en soi qui vont le motiver à progresser tout au long de sa scolarité.

3. Une éducation globale (la tête, les émotions, le corps, la créativité) en place d’une « hypertrophie de la tête ». C’est une évidence : les enfants et les jeunes ne sont pas que des têtes. Ils ont aussi un corps et des émotions. Or le système scolaire s’adresse principalement aujourd’hui à leur « tête » en effectuant une sélection de l’élite sur la puissance du raisonnement intellectuel. C’est un outil de sélection aussi injuste que dévastateur, car il nourrit une élite dont la capacité d’analyse, d’abstraction et de mentalisation est hypertrophiée, au détriment souvent de la capacité de synthèse et de ressenti. Il fabrique une élite qui « résonne » plus sur le quantitatif et les chiffres que sur la dimension humaine et la qualité de vécu des hommes et des femmes. Il est donc urgent d’introduire une éducation aux autres dimensions.

La dimension affective et émotionnelle (ou intelligence émotionnelle), qui permet d’engendrer une qualité relationnelle positive à soi et aux autres, peut être développée par l’introduction  de temps de partage journalier, de séquences de jeux sur l’éducation relationnelle (reconnaître les émotions, gérer les conflits, etc.). C’est une notion d’autant plus intéressante que - les études le démontrent – c’est un facteur de réussite plus important que le QI (3).Les écoles aux Etats-Unis qui se sont inspirées des travaux de Daniel Goleman sur l’intelligence émotionnelle ont des résultats plus qu’encourageants. Non seulement les enfants réussissent mieux scolairement, mais ils sont aussi plus épanouis et plus portés vers l’intérêt général (4). La Communication Non-Violente de Marshall Rosenberg (5) permet aussi de développer un réel climat de dialogue dans les écoles.

La dimension créative, qui représente tout le potentiel d’imagination, de créativité et d’innovation des enfants et des jeunes, doit également prendre toute sa place par le biais de l’éducation artistique et musicale, de jeux et de projets interdisciplinaires…

La dimension corporelle, primordiale pour un  développement équilibré, peut être développée par  le sport, certes, mais également tout ce qui contribue à la santé et la vitalité (nutrition, respiration, relaxation, etc.). Cette éducation est primordiale quand on sait qu’il y a 16% d’enfants obèses en France aujourd’hui et que deux tiers des décès prématurés (avant 65 ans) sont liés à des comportements nocifs (tabac, alcool et autres addictions, déséquilibres alimentaires et obésité, comportements à risque notamment sur la voie publique, violences et suicides), dont la plupart s’acquièrent pendant l’enfance et l’adolescence (6). Une expérience d’information nutritionnelle est menée depuis une dizaine d’années dans deux villes du Pas-de-Calais (7), à partir du milieu scolaire. Au bout de 8 ans, on a constaté que le taux d’obésité n’avait augmenté que de 4% chez les filles et de 1% chez les garçons, contre une augmentation , respectivement, de 95 et 195% dans l’ensemble de la région Nord-Pas-de-Calais.

Les résultats de ces exemples sont si parlants qu’ils devraient nous encourager à dupliquer ces expériences, et toutes celles qui visent une éducation globale, en France et partout dans le monde.

4. Le plaisir d’apprendre en place de « l’ingurgitation-régurgitation ».L’apprentissage est perçu par beaucoup d’enfants et de jeunes comme un moyen d’obtenir des diplômes pour avoir ensuite une place dans la société. Il est réduit à sa fonction utilitaire, au lieu de servir leur développement et leur épanouissement. Apprendre n’est plus comprendre, mais mémoriser. Il s’agit « d’ingurgiter » pour « régurgiter » au moment des examens. Les impacts sont innombrables sur la curiosité et la motivation des élèves. Et pourtant, il n’y a rien de plus enthousiasmant que d’apprendre quelque chose de nouveau et c’est vrai quelque soit notre âge. Imaginez que l’ensemble d’une classe se mette à applaudir chaque fois qu’un de ses élèves dirait  « je ne comprends pas », en partant du principe que puisqu’il ne comprend pas, il va, de fait, apprendre quelque chose de nouveau aujourd’hui.  Je force volontairement le trait, mais on peut penser que la dynamique d’apprentissage serait autrement plus puissante que celle d’une classe où l’on ricane des questions soi-disant « bêtes ».

5. La co-éducation pour faire « avec » les parents, plutôt que « sans » ou « contre ». Pour cela, il est nécessaire de créer des moments de rencontre de qualité entre les enseignants, les parents et l’enfant. Idéalement, il faudrait également que l’école puisse aider les parents à mieux exercer leur rôle d’éducateurs. Pour cela, on pourrait concevoir des ateliers à destination des parents, ateliers qui pourraient avoir pour thèmes : « comment développer la confiance en soi de l’enfant ?», « comment apprendre à dire non ? », « comment développer une autorité juste et bienveillante ? », « comment développer la santé de l’enfant ? »…Cette éducation à la « parentalité » est négligée en France, par rapport à d’autres pays d’Europe (Grande Bretagne, Suède…), car on pense généralement à tort que la parentalité va de soi. Or on ne naît pas parent, on le devient. Et notamment, face à la crise actuelle de l’autorité, il semble important de pouvoir donner des repères justes et viables.

Bien sûr, un tel changement de repères ne se décrète pas avec une loi d’orientation. Il doit être vécu par chacun des enseignants, jusqu’au fond de leurs cellules, ai-je envie de dire. Pour que le changement se fasse, ils doivent être ce changement, l’incarner totalement. « Be the change you want to see in the world » (« incarnez le changement que vous voulez voir dans le monde »), disait Gandhi. C’est précisément ce dont il est question. Voilà en quoi consiste le changement de paradigme : au lieu d’aller chercher les solutions à nos questions à l’extérieur de nous-mêmes, au lieu de décharger notre responsabilité sur la technologie, les institutions ou le politique, il s’agit de renverser notre regard en revenant vers nous-mêmes, en prenant conscience de notre propre potentiel et de notre capacité d’agir. Nous ne pourrons contribuer au développement d’individus autonomes, affirmés, épanouis et responsables, ayant à cœur de contribuer à l’évolution de l’humanité, qu’en l’étant nous-mêmes. C’est sur cette base, qu’il faut recruter et former les enseignants de demain.

J’entends déjà certains me dire que le mouton à cinq pattes n’existe pas, et je leur réponds : peut-être pas encore, mais j’ai bon espoir. Les qualités les plus indispensables sont l’authentique ouverture à la dimension humaine et l’envie de contribuer à l’évolution de l’humanité, pour le reste, ça se développe. En effet, la fameuse « intelligence émotionnelle », qui influe sur notre affirmation personnelle, sur notre autonomie, notre sens des responsabilités et notre bien-être, peut se développer à tout âge de la vie. Les études le démontrent, contrairement au QI qui ne progresse plus passé un certain âge, nous pouvons toujours développer notre intelligence émotionnelle, et ce, sans limite. C’est une bonne nouvelle, n’est-ce pas ? Cette intelligence émotionnelle, que j’appelle aussi « savoir-être », est primordiale dans l’éducation puisqu ‘elle elle donne la tonalité à nos messages, qu’elle conditionne nos relations aux autres, et qu’elle est un facteur de réussite pour les enfants. Car, les enfants apprennent aussi de qui nous sommes.

Tous nos savoirs et nos savoir-faire sont teintés de notre qualité d’être. Une seule qualité ou absence de qualité dans notre savoir-être impacte l’ensemble de nos savoir-faire et de nos réalisations. Imaginez un enseignant qui manque d’affirmation personnelle. Au niveau de son savoir-faire, cela va impacter sa qualité de communication avec les élèves tant au plan collectif, qu’au plan individuel. Il aura des difficultés à gérer l’ambiance de sa classe et à « recadrer » les élèves dissipés. Cela va également affecter sa qualité relationnelle avec les parents. Il aura du mal à faire valoir son point de vue par rapport à un parent un peu agressif.  Ce manque d’affirmation va avoir des répercussions jusque dans les réalisations concrètes de l’ensemble de la classe. Si les élèves sont dissipés, que leurs questions ne sont pas canalisées, les objectifs d’apprentissage que l’enseignant avait fixés en début d’année ne seront pas réalisés dans les délais, par exemple. Voilà pourquoi, il est primordial de développer un savoir-être de qualité. C’est aussi une question d’exemplarité. « L’exemplarité n’est pas un moyen d’influencer, c’est le seul. », disait Albert Schweitzer. De plus en travaillant au niveau du savoir-être, en amont, les résultats sont exponentiels.

Or aujourd’hui les enseignants ne sont pas formés à cette dimension du « savoir-être » et la loi d’orientation proposée par Monsieur Fillon n’envisage pas d’actions dans ce sens. J’appelle donc tous les professionnels de l’éducation qui perçoivent l’intérêt d’une telle démarche, qui sont déjà entrés dans cette dynamique ou qui sont prêts à le faire, à rejoindre le réseau « Savoir-être et éducation». L’objectif de ce réseau est de partager et diffuser nos meilleures pratiques, ayant pour base le savoir-être, dans le but de créer une éducation au service de la vie, une éducation « créatrice d’humanité ». Le réseau se fixe également pour but de promouvoir la formation au « savoir-être » des enseignants tant dans l’enseignement public que privé.

Caroline Sost
Créatrice d’un projet d’école élémentaire innovante (Paris – région parisienne)
Présidente de l'association « Savoir-être et éducation » www.savoir-etre-et-education.org
59, rue de la Fontaine au Roi - 75011 Paris - 08.70.72.48.58 / 06.72.15.88.44
caroline.sost@free.fr

Caroline Sost, 30 ans est à l’initiative d’un projet d’école élémentaire innovante qui ouvrira ses portes à Paris ou en région parisienne en Septembre 2006.  Diplômée de l’Ecole Supérieure de Commerce de Paris et en Sciences de l’Education. Ancienne Responsable des Ressources Humaines Internationales d’un groupe français de 2000 personnes. Formée à la Psychologie Positive© sur 5 années et diplômée de la Mastery University d’Anthony Robbins (PNL : Programmation Neuro-Linguistique). Participante du « Master pour le développement d’un leadership éthique ». Intervenante au Collège-Lycée Sophia (Ablon sur Seine) en conseil en orientation pour les élèves de seconde et coach scolaire.

NOTES :
(1) Les notions de « repères intérieurs » et « repères extérieurs » sont développées dans le cadre de la Psychologie Positive, fondée par Edel Gött.
(2) RERS – www.mirers.org
(3) Les enquêtes réalisées par des dizaines d’experts dans près de 500 entreprises, agences gouvernementales et associations du monde entier démontrent que le QI se place en seconde position derrière l’intelligence émotionnelle pour expliquer les performances exceptionnelles des individus testés. L’Intelligence Emotionnelle, tome 2, D. Goleman
(4) Sources : « Child Development Project » E. Schaps, « Paths » M. Greenberg, « The Improving Social Awareness - Social Problem Solving Project » M. Elias, cités dans l’Intelligence Emotionnelle tome 1 de Daniel Goleman
(5) Marshall Rosenberg, Ph.D, est le fondateur de la Communication Non-Violente (CNV)
(6) Académie de médecine. Comment développer et améliorer les actions de prévention dans le système de soins français. Bulletin Académie Nationale de Médecine 2002, 186, 447-531
(7) Fleurbaix et Laventie. Lire « Le Monde » du 4 février 2004.

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